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Forum de négociation international tripartite existant depuis plus de 20 ans, le Processus de Kimberley (PK) s’est fixé comme objectif de prévenir l’entrée des diamants de conflits dans le marché international. Définis comme étant des diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, les diamants de conflits sont une question sensible dans le secteur mondial de la pierre précieuse, et en Afrique en particulier. Chercheur pour l’International Peace Information Service (IPIS), une ONG de recherche basée en Belgique, Hans Merket a étudié l’impact de l’exploitation des ressources naturelles, sur la sécurité, le développement et les droits humains. Dans un entretien accordé à Agence Ecofin, celui qui s’est spécialisé depuis quatre ans sur le diamant en Afrique, avec un focus sur les défis liés aux droits humains dans le secteur, analyse les progrès réalisés depuis le lancement du PK.

Agence Ecofin : Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le secteur du diamant depuis la mise en place du PK ? Quel bilan faites-vous en matière d’accomplissements majeurs de cette initiative sur les deux dernières décennies ?

Hans Merket : Le processus a été lancé en 2000, mais il a fallu trois ans supplémentaires pour élaborer le système de certification. Au début, c’était une initiative pionnière qui a beaucoup contribué à mettre à l’ordre du jour mondial les liens entre le diamant, mais plus largement les minerais, et les conflits. Elle a ainsi donné les bases des forces et des faiblesses des initiatives existantes qui visent à gérer les risques dans les chaînes d’approvisionnement des minerais, comme le cadre de diligence raisonnable de l’OCDE ou les divers programmes volontaires de l’industrie.

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Hans Merket : « Aujourd’hui, on doit prendre en compte que la nature du conflit a changé. »

Sa principale force réside à mon avis dans le dialogue entre les différentes parties prenantes. Le processus de Kimberley est forum tripartite, mais seuls les pays en sont membres. Il y a deux coalitions d’observateurs, une coalition de l’industrie et une coalition de la société civile, dont l’IPIS est membre. L’autre atout de l’organisation, c’est le partage d’expériences entre les différents pays. Les premières années en particulier ont été marquées par un grand dynamisme et une grande ouverture pour trouver des solutions et surmonter des obstacles avec la coopération, l’assistance technique pour les pays qui ont des difficultés et pour aussi tirer des leçons de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Je pense que ce dynamisme, on l’a un peu perdu sur les dernières années. Il existe encore dans une certaine mesure dans les pays de l’Union du fleuve Mano, mais pour le reste, le processus de Kimberley s’est enlisé dans une logique assez insulaire qui est axée sur des discussions, sur des règles et des procédures.

« Au début, c’était une initiative pionnière qui a beaucoup contribué à mettre à l’ordre du jour mondial les liens entre le diamant, mais plus largement les minerais, et les conflits. »

Il y a un manque de confiance entre les pays, mais l’empreinte de la géopolitique affecte aussi le processus. Au début, par exemple, on a eu une crise importante au Zimbabwe, avec une histoire d’abus par les forces de sécurité du gouvernement qui était en train de prendre le contrôle des zones de diamants qui étaient dans les mains des artisans. Ça n’a pas été facile pour le processus de Kimberley, ça a donné lieu à beaucoup de controverses. Mais il y avait encore un effort de tous les membres du Processus de chercher à trouver des solutions, même si les positions étaient très différentes. Il y avait des pays qui ne voulaient pas que le processus de Kimberley fasse de l’ingérence au Zimbabwe et d’autres qui voulaient un embargo. Aujourd’hui on ne parle presque pas des sujets qui sont dans l’actualité. Il n’y a pas eu un seul débat, par exemple, concernant la crise qui existe avec les diamants de la Russie qui sont dans une controverse après la guerre en Ukraine. C’est vraiment des discussions sur les procédures, sur les technicités qui sont assez éloignées de la réalité. Le processus est devenu un théâtre de la géopolitique où il y a beaucoup de méfiance. Et donc tous les membres sont très hésitants à se mettre d’accord sur de petits changements parce qu’ils craignent que cela soit utilisé contre eux plus tard. Et en l’état, les choses ne bougent pas vraiment.

AE : Que voyez-vous comme réussites majeures du PK sur lesquelles l’initiative peut capitaliser pour son futur ?

HM : Oui, je pense qu’il y a beaucoup de réflexions qui ont été faites sur comment intégrer le secteur artisanal dans les chaînes d’approvisionnement globales. Et donc il y a des déclarations qui ont été adoptées par les pays membres du PK. On a les déclarations de Washington, de Moscou, qui sont des documents très concrets, très spécifiques et qui font une liste des actions ou des mesures qui sont nécessaires. Le problème aujourd’hui est qu’on n’a pas beaucoup avancé dans la mise en pratique de ces documents qui sont encore très valables. Donc je pense que c’est cela, le grand processus de réflexion a été fait, maintenant on doit trouver des façons de le mettre en pratique.

Par ailleurs, un autre bon exemple de réussite pour le PK, c’est l’échange des statistiques. C’est quelque chose qui n’existe pour aucun autre minerai. Par exemple, on n’a pas ça pour l’or. Tous les pays membres (ils sont 85, NDLR) du processus de Kimberley échangent toutes les statistiques des importations et exportations des diamants bruts réellement entre eux. Ils font un processus d’harmonisation des chiffres, en voyant si les importations d’un pays spécifique correspondent à ce qui a été exporté par d’autres membres. Et ce mécanisme, ça permet de comprendre beaucoup mieux comment ce commerce marche dans la pratique. Mais aussi de voir où sont les défis. Cela permet par exemple de comprendre quelle valeur est créée en Afrique par le diamant, quelle valeur est ajoutée dans les centres de commerce, et après le polissage de diamant. Et c’est cette information qui donne quand même un peu de transparence à un secteur qui est, pour le reste, assez obscur. Et je trouve que c’est vraiment une réalisation dont d’autres minerais ou d’autres secteurs peuvent s’inspirer.

« Un autre bon exemple de réussite pour le PK, c’est l’échange des statistiques. C’est quelque chose qui n’existe pour aucun autre minerai. Par exemple, on n’a pas ça pour l’or. »

Je crois maintenant qu’on devrait trouver des façons d’avancer cette opération entre des différents groupes de pays, parce qu’il n’y a pas un seul pays qui puisse relever seul les défis évoqués tout à l’heure, qui sont en fait tous transfrontaliers. Quand on parle par exemple de contrebande, pour ne pas favoriser de commerce illicite, il est important d’harmoniser les taxes entre les pays.

AE : Particulièrement en Afrique, la question des diamants de conflit est très sensible. Qu’est ce qui a changé à votre avis pour le continent et les pays africains producteurs de diamants depuis la mise en place du PK ?

HM : Je pense qu’aujourd’hui, on peut dire que les grandes guerres civiles qui étaient en partie alimentées par le commerce du diamant n’existent plus. C’était le grand défi au début du processus de Kimberley avec les guerres en Angola, au Liberia et RDC. Aujourd’hui, on a encore un pays où on a ce type de conflit qui est encore alimenté par le commerce du diamant, c’est la République centrafricaine. Mais pour le reste, c’est quelque chose du passé. Ce n’est pas quelque chose qui a été réalisé uniquement par le processus de Kimberley, parce qu’il y a beaucoup de facteurs qui jouent dans ce type de conflit. Je dirais que le PK y a sans doute contribué, et c’est une grande réalisation.

« Aujourd’hui, on a encore un pays où on a ce type de conflit qui est encore alimenté par le commerce du diamant, c’est la République centrafricaine. Mais pour le reste, c’est quelque chose du passé. »

Mais aujourd’hui, on doit aussi prendre en compte que la nature du conflit a changé. Et ce n’est pas parce qu’on n’a plus de grandes guerres civiles qu’il n’y a plus de formes de violences qui sont associées à la production du diamant. Il y a des conflits à moindre intensité, mais qui sont caractérisés par des violations des droits de l’homme commises par des acteurs de l’État, par la police, l’armée ou des entreprises de sécurité privée qui détiennent ou qui patronnent des concessions minières. Et c’est une autre forme de conflit sur laquelle le processus de Kimberley ne porte pas d’attention aujourd’hui, car ils ont une définition spécifique de diamant de conflit et pour eux cela ne compte pas. Pour le processus de Kimberley, seuls les diamants provenant de certaines régions de la République centrafricaine ne peuvent pas être certifiés “sans conflit”. Et c’est une mentalité qui doit changer pour assurer qu’on aille plus loin. Même s’il n’y a plus de grandes guerres civiles, on a encore d’autres violations qui doivent être prises en compte.

AE : Vous partagez donc le point de vue de la coalition de la société civile qui estimait en mai dernier à la conférence du PK au Zimbabwe, que le processus doit élargir sa définition des « diamants de sang », car la définition actuelle rend les consommateurs finaux aveugles sur certaines violations des droits de l’Homme liées à l’extraction des diamants.

HM : Oui, c’est une conclusion que je partage, car les conflits sont devenus plus localisés et il y a aussi des conflits entre des communautés et des entreprises. Par exemple, on a fait des recherches sur une mine de diamants en Tanzanie. C’est un pays qu’on n’associe pas avec les conflits, c’est un pays stable. Mais dans une région spécifique, on a vu qu’il y a des dizaines de personnes qui ont été tuées par des gardiens privés d’une mine de diamant. Et il y a encore des centaines qui ont été victimes d’autres violations de droits de l’homme, de tortures, d’agressions, des violences sexuelles. C’est quelque chose qui n’est pas pris en compte par le PK, ce qui signifie que ces diamants sont certifiés ‘sans conflit’. Et c’est déjà depuis des années qu’on essaie de changer la définition.

« On a fait des recherches sur une mine de diamants en Tanzanie. C’est un pays qu’on n’associe pas avec les conflits, c’est un pays stable. Mais dans une région spécifique, on a vu qu’il y a des dizaines de personnes qui ont été tuées par des gardiens privés d’une mine de diamant. »

Mais c’est très difficile parce que le processus de Kimberley prend des décisions par consensus. Ça veut dire que chaque pays doit être d’accord avec un élargissement de cette définition. Et il y a beaucoup de pays qui ont peur de transmettre davantage de leur souveraineté au processus. Parce que plus large est la définition, plus ils considèrent que le risque est grand que ce processus intervienne dans leur pays. Et c’est la raison pour laquelle je trouve qu’on ne doit pas seulement parler d’un élargissement d’une définition de diamant de conflit, mais aussi d’un élargissement de la boite à outils du PK. Donc des moyens par lesquels le PK peut répondre à des situations de conflit.

Et pour l’instant, la réaction du processus de Kimberley, c’est seulement les embargos. Donc si le processus définit une situation de diamant de conflit, ce qu’ils font est simplement d’imposer un embargo sur un pays. Et évidemment, c’est un grand risque pour les pays qui ne veulent pas se retrouver dans cette situation. Mais c’est une solution qui ne résout pas vraiment le problème. S’il y a un problème de conflit, le PK dit en fait que ce n’est pas notre problème, on va isoler le problème et on espère que le problème va disparaître de cette façon. Je dirais que le processus de Kimberley doit avoir un budget pour aussi, par exemple, s’engager dans l’assistance technique ou le renforcement des capacités, pour aider les pays à répondre à des situations qui sont assez complexes. Ça peut être des formations pour des organisations de sécurité privée sur les risques de violation de droits de l’homme, et sur comment répondre à des situations d’invasion de leurs mines par des miniers artisanaux. On doit élargir la définition, mais on doit aussi élargir les instruments dont le PK dispose pour résoudre les problèmes.

AE : Selon vos explications, il y a donc une sorte de droit de veto que chaque pays détient pour empêcher une décision de passer. Est-ce qu’il faudrait réformer cette manière de fonctionner ?

HM : Idéalement, je dirais oui, mais ce n’est pas très réaliste parce que même pour changer cette façon de prendre des décisions, on aura besoin de consensus. Aucun pays ne dira qu’il est d’accord pour perdre son véto. Tous les pays doivent être d’accord et cela ne se passera pas. C’est aussi la raison pour laquelle le processus de Kimberley a réussi à s’installer comme une coopération entre un très grand nombre de pays qui ont été d’accord pour participer parce qu’ils gardaient leur souveraineté, ils avaient toujours la possibilité d’utiliser un veto. Donc je comprends la raison pour laquelle c’est important pour les pays. Mais pour l’instant, le problème est que cela bloque la prise de toute décision. Pas seulement sur la définition du diamant de conflit, mais même si on regarde la réponse du PK en Centrafrique, elle est bloquée par le pouvoir de veto. Et pour moi, le problème est la combinaison du modèle de décision par consensus et l’absence de transparence.

Parce que toutes les réunions du PK sont confidentielles. Cela veut donc dire que chaque pays a le pouvoir de bloquer une décision, mais ils ne doivent jamais expliquer au public la raison pour laquelle ils ont bloqué. Ils peuvent bloquer derrière des portes qui sont fermées, mais ils n’ont jamais besoin de se justifier.  Donc il n’y a pas de responsabilité.

« Parce que toutes les réunions du PK sont confidentielles. Cela veut donc dire que chaque pays a le pouvoir de bloquer une décision, mais ils ne doivent jamais expliquer au public la raison pour laquelle ils ont bloqué. »

Je pense que ce n’est pas très réaliste de changer la prise de décision par consensus. Ce qui est plus réaliste est d’augmenter le niveau de transparence sur les considérations et les réunions du processus. Et de cette façon, on pousserait les pays qui bloquent les décisions à s’expliquer, à justifier. S’ils expliquent leur position, on peut les critiquer et on peut augmenter la pression.

AE : Pour revenir sur le conflit entre l’Ukraine et la Russie. Est-ce que le PK a une position sur le sujet ?

HM : Non, pas du tout. Et ça élargit les problèmes que le PK connaît déjà depuis des années. À cause de ce système de consensus, il est impossible de développer une position. Pas seulement la Russie qui est un des membres du PK, mais il y a en fait beaucoup de pays qui ne veulent pas considérer ce problème. Pour l’expliquer un peu plus concrètement, l’année passée par exemple, on a passé toute une année avec des discussions sur la possibilité pour le PK de discuter ou non des implications du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Cette discussion n’a jamais eu lieu parce qu’il y a des acteurs qui bloquent son inscription à l’ordre du jour. Et maintenant, ça devient très compliqué pour beaucoup d’acteurs, par exemple des pays occidentaux qui se trouvent dans une position difficile parce qu’eux, ils participent, ils investissent leurs ressources, leurs équipes, leur temps dans un système qui en fait donne des certifications « conflict free » (libre de conflits, NDLR) aux diamants russes qui font un tiers de la production du monde.

« Je pense que chaque année qui passe sans que le PK change son approche le rend un peu moins crédible et pertinent. »

Cela montre un peu la complexité du discours. La recherche de solutions devient plus compliquée parce que chaque dossier est maintenant vu dans le contexte de cette guerre entre la Russie et l’Ukraine qui sont tous les deux membres du PK, donc c’est vraiment un conflit qui hante les réunions du PK. Et chaque proposition, si on parle de l’élargissement de définition de diamant de conflit ou le problème en Centrafrique, chaque discussion est maintenant vue dans ce contexte et ça augmente encore la méfiance entre les différents acteurs et ça rend le prospect pour le PK assez pauvre parce qu’on ne voit pas vraiment comment ils peuvent échapper à cette situation. Et la question se pose si le PK peut continuer de garder sa crédibilité et sa pertinence dans ce contexte. Je pense que chaque année qui passe sans que le PK change son approche le rend un peu moins crédible et pertinent. Et ces 20 dernières années, on est resté avec les mêmes définitions de problèmes et les mêmes solutions. On n’a adapté ni la définition de problèmes ni les solutions. Les 20 dernières années, le monde a changé et je pense que si le PK était pionnier en matière de discussions concernant l’approvisionnement responsable des minerais, on voit aujourd’hui que beaucoup d’autres secteurs et minerais sont avancés. Ils ont déjà essayé d’autres solutions, ils ont beaucoup plus de dynamisme. Il est donc temps pour le PK d’apprendre de ces autres secteurs et discussions et de voir comment on peut intégrer à nouveau ce dynamisme dans le contexte des diamants.

Interview réalisée par Emiliano Tossou et Louis-Nino Kansoun

Source : Agence Ecofin

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