Premier producteur mondial de manganèse, l’Afrique du Sud a indiqué récemment une hausse de ses volumes qui sont passés à 19 millions de tonnes en 2022. Louis-Nino Kansoun, auteur pour Ecofin Pro du rapport « Le manganèse, encore un atout africain dans l’industrie de demain » nous explique les enjeux autour de cette matière première que produisent également en Afrique des pays comme le Gabon, la Côte d’Ivoire ou encore le Ghana.
Agence Ecofin : Quand on évoque les minéraux stratégiques dont regorge le continent africain, le manganèse n’est pas le premier produit auquel on pense. Il est devancé par des produits comme le cuivre, le cobalt, le lithium, le nickel, etc. Comment expliquez-vous cela ?
Louis-Nino Kansoun : Pour répondre à votre question, il faut d’abord comprendre les nouveaux enjeux entourant le manganèse aujourd’hui. Le manganèse est le quatrième métal le plus utilisé dans le monde derrière le fer, l’aluminium et le cuivre. L’essentiel de la demande provient de la sidérurgie où le manganèse sert à améliorer la résistance de l’acier grâce à ses propriétés de fixation du soufre, de désoxydation et d’alliage. Cela explique pourquoi, les tendances sur le marché sont liées au secteur mondial de la construction, et que des pays comme la Chine et l’Inde sont de gros consommateurs.
Depuis quelques années néanmoins, il y a un intérêt nouveau pour le manganèse de haute pureté dans le secteur des batteries électriques qui compte aujourd’hui pour 10% de la demande mondiale, et ce pourcentage est appelé à augmenter selon les analystes, vu l’engouement pour les véhicules électriques. Si on s’appuie uniquement sur cette dernière application, on devrait parler du manganèse comme on parle du lithium, du cobalt ou encore du cuivre, utilisés dans les VE. Cependant, contrairement à tous ces métaux, le manganèse est très bon marché. Comme nous l’expliquons dans notre rapport, le sulfate de manganèse se négocie à moins de 1000 dollars la tonne, là où le cuivre a atteint récemment 9300 dollars.
AE : S’il est aussi moins cher, en quoi représente-t-il une opportunité de croissance de revenus pour l’Afrique ?
LNK : Ce n’est pas parce qu’il est moins cher qu’on ne peut pas en tirer davantage de revenus. Tout dépend en fait des capacités de production. Si le prix du cuivre est à 9300 dollars et que vous en produisez 10 tonnes, vous générez 93 000 dollars de revenus. Si dans le même temps le prix du sulfate de manganèse est à 1000 dollars et vous en produisez 100 tonnes, vous générez 100 000 dollars.
Le manganèse est un grand atout pour le continent africain parce que la majeure partie de l’offre du minerai (transformé pour obtenir le sulfate et les autres produits dérivés) provient du continent. En 2021, les deux premiers producteurs mondiaux du minerai de manganèse étaient l’Afrique du Sud et le Gabon, qui ont représenté à eux deux 55% de l’offre mondiale si on se base sur les données de l’USGS. D’autres producteurs africains comprennent des pays comme le Ghana ou encore la Côte d’Ivoire. Au total, l’Afrique compte pour plus de 60% dans l’offre mondiale du minerai de manganèse. Et cette domination du continent ne va pas baisser du jour au lendemain, car en matière de réserves les pays africains sont également bien positionnés.
AE : Parlons justement du cas du Gabon. Le pays est deuxième producteur mondial du minerai de manganèse. Quelle place occupe le manganèse dans son économie ?
LNK : Au Gabon où le secteur pétrolier est le pilier de l’économie, l’État travaille depuis plusieurs années maintenant à diversifier les sources de revenus et les mines sont au cœur de ces plans. L’objectif annoncé est que le pétrole représente moins de 20% du PIB d’ici 2025 (la contribution était de 38,5% en 2020 selon la Banque mondiale). Pour atteindre ce but qui est loin d’être évident, il faut augmenter les recettes tirées du secteur minier qui représentait 6% du PIB en 2019 et devrait représenter 10% bientôt. Le gouvernement gabonais vise à augmenter la valeur ajoutée du secteur à 1,4 milliard de dollars en 2025 alors qu’elle n’était que de 466 millions de dollars environ en 2010. Pour réussir ce pari, le manganèse, premier produit minier du pays jouera un grand rôle avec une production qui devrait augmenter à 13,5 millions de tonnes selon les prévisions. L’essentiel de la production gabonaise de manganèse est pour le moment assuré par la société française Eramet et sa filiale Comilog dans laquelle l’État détient 29% de participation. La compagnie extrait 90% du manganèse issu du sous-sol gabonais et assure une première transformation dans son Complexe Métallurgique de Moanda (production de manganèse métal électrolytique et de silico-manganèse utilisés dans la production d’acier). En dehors d’Eramet, les autres producteurs comprennent le chinois CICMHZ (Compagnie industrielle des mines de Hangzhou, ndlr), et l’entreprise Nouvelle Gabon Mining (NGM), qui fait partie du groupe indien Coalsale Group.
AE : Qu’est-ce que le Gabon peut faire pour augmenter ses revenus provenant du manganèse ?
LNK : À moyen et long terme, les analystes s’accordent sur le fait que la demande du secteur des batteries électriques va changer la donne pour le marché du manganèse. La bonne nouvelle pour le Gabon, c’est que les teneurs de son minerai de manganèse sont assez élevées et que ses réserves de manganèse sont importantes. À elle seule, la mine Moanda héberge, selon les estimations d’Eramet, 25% des réserves mondiales de manganèse et constitue l’un des plus grands gisements de minerai haute teneur au monde. S’il arrive à concrétiser ses plans d’augmentation de production d’ici 2025, le Gabon devrait inéluctablement voir les recettes tirées du secteur augmenter. Cependant, que ce soit pour le Gabon ou les autres pays africains producteurs de minerai de manganèse que sont l’Afrique du Sud, le Ghana, la Côte d’Ivoire ou bientôt le Togo et le Botswana, l’équation est un peu la même. Il y a beaucoup plus à gagner en s’intéressant à d’autres maillons de la chaine de valeur du manganèse. Il faut redoubler d’efforts dans la mise en œuvre de la Vision minière africaine. Selon la VMA de l’Union africaine, il existe d’autres options à explorer pour permettre aux gouvernements de moins dépendre des taxes et des redevances en intégrant plus étroitement le secteur minier dans l’économie nationale. Ces options comprennent entre autres une collaboration étroite avec les mineurs artisanaux et à petite échelle (ASM) d’une manière mutuellement bénéfique. Aussi l’exploitation minière industrielle pourrait également être plus intégrée dans l’économie locale en achetant, dans la mesure du possible, sur place, en embauchant du personnel local, en formant du personnel local, en veillant à ce qu’elles respectent les droits de l’homme, en veillant à ce qu’elles causent le moins possible des dommages et des dégradations sur l’environnement, et en soutenant le développement communautaire en veillant à ce que les infrastructures construites profitent également aux communautés.
AE : Des analystes estiment que la coopération continentale est nécessaire pour tirer pleinement profit des opportunités sur le marché des métaux nécessaires à la transition énergétique. Quelle est votre position sur ce sujet ?
LNK : Sur la plateforme Ecofin Pro, nous avons publié plusieurs rapports mettant en exergue les différentes opportunités existantes sur le marché des matières premières pour les pays africains, que ce soit pour le lithium, le cobalt, le nickel, le graphite, etc. Le point commun de tous ces métaux est qu’ils sont essentiels pour dans la fabrication des véhicules électriques. Sauf qu’actuellement, en dehors des recettes d’exportation de minerais bruts et de minerai de première transformation pour certains métaux, l’Afrique n’est pas en position de profiter autrement de ces opportunités. Les analystes estiment qu’en transformant davantage de minerai, les pays africains augmenteront la valeur et tireront plus de bénéfices. J’irai un peu plus loin en disant qu’il existe également des opportunités sur le marché des batteries, et même le marché des véhicules électriques. Embrasser ces voies peut paraitre d’un premier abord utopiste, mais si ça peut être difficile pour un pays, deux trois ou quatre pays qui collaborent se rendent la tâche moins difficile. Et je crois que si la volonté y est, les pays africains peuvent développer ensemble une chaine de valeur locale.
Source: Agence Ecofin