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Au Forum des Mines et du Pétrole de la CEDEAO (ECOMOF) tenu à Cotonou du 22 au 24 février 2024, dirigeants, experts et autres acteurs ont discuté de plusieurs questions ayant rapport aux stratégies de mutualisation pour la création de valeur ajoutée dans les des secteurs extractifs d’Afrique de l’Ouest. Parmi ces questions se trouve la problématique de la bonne gouvernance, cruciale pour une meilleure prise en compte des préoccupations liées à la préservation environnementale, l’équité sociale et l’inclusion de genre dans les industries géo-extractives. Dans un entretien accordé à Agence Ecofin en marge de cet événement, Dr Charles Mvongo, expert en bonne gouvernance et stratégies de développement des ressources extractives, donne son point de vue sur cette thématique.

Agence Ecofin : Vous interveniez tantôt dans un panel où il était question de bonne gouvernance, considérations environnementales, sociales et genre dans les industries géo-extractives. Comment définissez-vous la bonne gouvernance ?

Charles Mvongo : Je crois que la bonne gouvernance est ce modèle de gestion responsable des ressources avec la participation inclusive de tous les acteurs concernés et qui permet de rentabiliser à travers la maximisation des intérêts, la stabilité des recettes, et une efficacité administrative concrète.

« Je reste optimiste et je crois que d’ici quelques années, on pourra se retrouver avec des systèmes de gestion de nos ressources naturelles qui prennent en compte la participation effective de tous les acteurs. »

Et quand on parle d’acteurs, la société civile ne doit pas être exclue. Parmi les acteurs, nous avons l’État, qui est détenteur de la ressource dans le cadre de la législation minière des pays de la CEDEAO. Nous avons les industriels, nous avons les banques, nous avons les populations, qui sont sur les sites à exploiter, nous avons les syndicats, toujours dans la société civile nous avons les journalistes que vous êtes, nous avons les partis politiques, nous avons une longue liste d’acteurs qui doivent être impliqués de manière effective, dans la gestion de ces ressources.

Maintenant, il est clair que cela n’est pas effectif dans nos États à 100 %, parce que c’est une exigence qui est en train d’être davantage mise en place et qui se fait de manière progressive. Donc, je reste optimiste et je crois que d’ici quelques années, on pourra se retrouver avec des systèmes de gestion de nos ressources naturelles qui prennent en compte la participation effective de tous les acteurs.

AE : Vous évoquiez un certain nombre de solutions, parmi lesquelles un meilleur contrôle des activités et engagements des compagnies qui viennent exploiter les ressources minérales des pays africains, ainsi qu’un système de sanctions plus efficaces. Pouvez-vous mieux nous expliquer cet aspect contrôle ?

CM : J’ai dit dans mon intervention que le contrôle doit être une activité prise réellement au sérieux par nos États parce que c’est le contrôle qui nous permet d’assurer, de veiller à ce que les conditions d’exploitation, et les processus d’exploitation utilisés par les partenaires industriels soient les processus les moins polluants pour notre écosystème.

Et pour cela, la sanction ici est un peu comme on dit la peur du gendarme, la sanction ici ne doit pas être une sanction approximative ou alors une sanction de plaisanterie, qui ne soit pas capable en cas d’utilisation de mauvais process, d’impacter ces firmes et de les obliger à répondre aux différents risques qui pourraient s’en suivre. Donc les sanctions doivent être déterminées en fonction de la hauteur des risques qui peuvent s’en suivre et les contraventions ou les condamnations qui suivront permettront effectivement de pouvoir pallier les différents dégâts qui auront été causés par les mauvaises méthodes d’exploitation.

« Le contrôle, ça commence bien avant la mine et au début de la mine jusqu’à la fin. Donc c’est une activité à prendre vraiment très au sérieux, ce qui peut révolutionner même le développement, et l’émergence de nos États. »

Et on ne peut bien contrôler que ce que l’on connaît, ce que l’on maîtrise. Il faut d’abord avoir la maîtrise de la ressource, il faut avoir des acteurs vraiment outillés pour l’activité de contrôle parce que le contrôle, ça commence bien avant la mine et au début de la mine jusqu’à la fin. Donc c’est une activité à prendre vraiment très au sérieux, ce qui peut révolutionner même le développement, et l’émergence de nos États.

AE : En parlant justement des dégâts, à Agence Ecofin nous avons produit un rapport qui portait sur comment les pays africains peuvent tirer profit des fermetures et réhabilitation de sites miniers en fin de vie. Dans votre intervention, vous évoquiez votre expérience dans la réhabilitation d’un site minier en Roumanie, pouvez-vous nous la raconter et nous dire quels enseignements les pays africains peuvent en tirer, même si les contextes sont différents ?

CM : L’expérience en Roumanie qui est allée de 2016 à 2020 consistait à mettre sur pied une stratégie qui permettrait de donner une nouvelle vie à un site minier abandonné. Comme je le dis, après la fermeture et la réhabilitation, qu’est-ce qu’on fait du site ? Qu’est-ce qu’on fait des acteurs ? La réhabilitation c’est ramener le site dans les conditions les plus proches de celles d’avant l’exploitation. Une fois qu’on l’a fait, qu’est-ce qui vient après ?

Donc, au niveau de la Roumanie, j’ai pu développer une stratégie qui consistait à pouvoir exploiter les eaux des mines qui sont remontées dans les galeries fermées. Et ces eaux ont absorbé la chaleur des galeries. Cette chaleur qui tournait autour de 8 à 10 degrés est largement suffisante pour être stockée dans les accumulateurs d’énergie et propulsée, transformée pour pouvoir produire le chauffage en période hivernale et le froid en période d’été.

« L’activité de reconversion ne se pense pas après l’activité minière. L’activité de reconversion se conçoit avant le démarrage de l’activité minière, en fonction de la typologie du gisement qui sera exploité. »

De même, dans le domaine agricole, cela peut être utilisé, pour construire des encas de stockage, des produits post-récoltes, et ça marche. Donc aujourd’hui, on a pu transformer l’ancien site minier en centrale géothermique. Voilà un peu ce que l’on peut dire. Aujourd’hui, les gens qui travaillaient dans les mines se retrouvent en train de travailler dans le secteur énergétique. Vous voyez ce que ça veut dire ?

En Afrique, alors qu’on cherche à mettre l’accent sur le développement minier, il faut savoir que l’activité de reconversion ne se pense pas après l’activité minière. L’activité de reconversion se conçoit avant le démarrage de l’activité minière, en fonction de la typologie du gisement qui sera exploité. Et c’est l’exploitation de ce gisement-là qui doit pouvoir générer des fonds qui permettront de préparer l’activité de reconversion après fermeture et réhabilitation du site minier.

AE : Dans le contexte même de cette conférence de la CEDEAO, vous présentiez votre théorie des 4C, qui peut, selon vous, permettre aux pays de la communauté de se mettre ensemble pour des actions concrètes. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Après moult analyses, moult constats, et de mon expérience personnelle au niveau africain, je remarque que nous avons beaucoup de difficultés à pouvoir nous mettre ensemble de manière concrète pour pouvoir faire des actions communes. Et dans le cadre de l’exploitation minière au sein de la CEDEAO, je peux évoquer l’exemple des tensions de haut niveau qui existent et qui ne datent pas forcément d’aujourd’hui. On ne peut pas décider de se mettre ensemble si on ne se fait pas confiance. Il faut vraiment se faire confiance pour pouvoir mutualiser les efforts et aller dans le même sens. Le premier C, c’est confiance. Et le deuxième, c’est contrôle, que j’évoquais tantôt. Le troisième, c’est compétence. On ne peut pas mener une activité si on n’est pas compétent. Et la compétence se crée. Il faut former. Si on ne peut pas former, on peut faire former. La ressource humaine doit être capable de mener à bien ce vaste projet qui consiste à développer le secteur minier en Afrique. Et puis, comme je l’ai dit, une fois qu’on a la confiance, on a la capacité et les outils qui nous permettent de faire un bon contrôle, la ressource humaine qu’il faut, on peut amplifier la coopération au niveau régional, au niveau continental. Et puis, pourquoi pas la coopération au-delà du continent avec les autres acteurs et partenaires.

AE : En parlant de bonne gouvernance des industries extractives sur le continent, un point crucial pour lequel militent plusieurs ONG et initiatives internationales comme l’ITIE, le NRGI etc., est l’aspect divulgation des contrats. Pourquoi est-ce si important ?

CM : La divulgation des contrats, ça ne se négocie normalement pas, c’est une exigence. Et il n’y a pas que les contrats. Il faut divulguer les informations réelles sur la ressource. Il faut divulguer les informations réelles sur la collecte de recettes. Il faut donner les informations exactes. Il faut divulguer les informations sur les dépenses qui sont faites.

Il faut être vraiment transparent à tous les niveaux de la chaîne. Ce n’est pas une faveur, c’est une exigence. Et l’ITIE dont vous parlez est l’un des promoteurs de cette exigence-là. Parce que pour l’ITIE, la ressource appartient aux citoyens, mais les citoyens sont membres d’un État, il n’y a pas d’État sans citoyen, n’est-ce pas ? Et pour cela, il faut avoir un modèle de gestion responsable, participatif et transparent. La CEDEAO ne peut que s’inscrire dans ce canevas-là, parce que c’est par là aussi que l’on implémente les outils de performance pour la bonne gouvernance dans le cadre des ressources extractives.

Propos recueillis par Louis-Nino Kansoun

Source : Agence Ecofin

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