« Même à N’Djamena, les réfrigérateurs sont rares et les pannes d’électricité sont récurrentes », une phrase qui symbolise à elle seule la situation du Tchad où l’électricité reste encore une denrée rare, malgré les ressources fossiles et renouvelables.
Le Tchad, malgré un relatif succès dans le développement d’une industrie pétrolière axée sur l’exportation qui a généré des recettes publiques importantes, reste coincé au bas de l’échelle des classements en matière d’accès à l’énergie.
Selon les données de la Banque Mondiale et de l’Agence Internationale de l’énergie (AIE), environ 90 % de la population tchadienne n’avait pas accès à l’électricité en 2021. Seuls le Burundi et le Sud-Soudan affichaient des taux d’accès plus faibles à la même période.
Un document du Center on Global Energy Policy (CGEP) at Columbia University indique que les nouveaux raccordements au réseau depuis le début de l’ère pétrolière en 2003 ont été largement limités à certaines circonscriptions urbaines, et que même au sein de cette tranche élitaire de la société, la consommation d’électricité reste limitée.
Les Tchadiens consommeraient également moins d’énergie que leurs voisins de la région, 47 kilowattheures (kWh) par an et par personne, contre 107 kWh en moyenne pour les habitants des pays du Sahel.
Par ailleurs, depuis 2003, le Mali et le Niger, pays au niveau de vie similaire, ont élargi leur accès à l’électricité de manière plus significative qu’au Tchad, bien qu’ils soient tous partis de niveaux aussi bas en 2000, qu’ils soient confrontés à des défis géographiques similaires et qu’ils ne produisent pas ou produisent peu de pétrole.
Les problèmes institutionnels caractérisés par les dysfonctionnements de la société nationale d’électricité
Selon le papier du CGEP, ce sont les problèmes institutionnels qui expliquent principalement la persistance de la pauvreté énergétique au Tchad. Ces problèmes sont symbolisés par la Société Nationale d’Électricité du Tchad (SNE), qui « est embourbée dans des défis techniques, logistiques et financiers qui l’empêchent de mener à bien sa mission de connecter les Tchadiens à l’énergie dont ils ont besoin ».
En effet, alors que l’infrastructure de transmission est pratiquement inexistante à travers le pays, les installations de production de la SNE en place sont pour la plupart anciennes et délabrées, ce qui entraîne des pannes fréquentes et des coupures d’électricité.
En outre, même lorsque les capacités de production sont relativement nouvelles, la SNE se heurte à des difficultés pratiques qu’elle a du mal à surmonter. « Avec des manuels d’instruction principalement en chinois et une pénurie de techniciens qualifiés, même les petites pannes entraînent généralement de longs retards. »
Pour espérer remédier à ces obstacles, de gros investissements sont nécessaires. Mais le papier souligne que la SNE est perpétuellement insolvable. Les branchements illégaux sont très répandus et le gouvernement tchadien, principal client de la société, n’arrive souvent pas à régler sa facture. Dans ce contexte, la SNE « sert surtout le clientélisme plutôt qu’elle n’est un moteur de croissance ou d’inclusion sociale. »
Au-delà des défaillances de la SNE, le peu d’intérêt que porte le gouvernement pour la question énergétique semble pérenniser la situation. Ce désintérêt du gouvernement se manifeste par son manque de clairvoyance à capitaliser sur le potentiel du pays en matière de sources d’énergie autres que le pétrole.
Le Tchad dispose en effet d’un potentiel immense en ressources énergétiques renouvelables, notamment le solaire. « Le soleil brille entre 2 700 et 3 200 heures par an au Tchad. » Pourtant seuls 3 à 4 % de l’approvisionnement énergétique du pays proviennent de sources à faible teneur en carbone.
Par ailleurs, alors que des économies africaines telles que la Mauritanie et la Namibie ont conclu des accords de plusieurs milliards de dollars pour des projets d’hydrogène et des fermes solaires, le Tchad n’a pas attiré de capitaux internationaux pour développer des capacités d’énergie renouvelable. Principalement parce qu’il ne dispose pas d’un environnement réglementaire propice à l’investissement dans le secteur.
Les projets d’électrification soutenus par la Banque Mondiale et les entreprises étrangères
En novembre 2023, les gouvernements tchadien et camerounais ont lancé le Projet d’interconnexion des réseaux électriques du Cameroun et du Tchad (Pirect), financé par la Banque mondiale (385 millions de dollars), la Banque africaine de développement et d’autres institutions financières.
L’objectif global du projet est d’améliorer le cadre de développement économique et social des États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) par la fourniture d’une quantité et d’une qualité adéquates d’électricité à faible coût. L’objectif sectoriel étant d’augmenter le taux d’accès à l’électricité pour la population des deux pays, et de renforcer la coopération et l’intégration régionale dans la sous-région grâce au commerce de l’énergie entre les pays.
En 2022, le gouvernement tchadien a signé un contrat avec le britannique Savannah Energy pour une centrale solaire photovoltaïque de 300 MW ainsi qu’un projet solaire et un projet éolien de 100 MW chacun.
Mais ces projets sont compromis, selon le papier du CGEP, par une bataille juridique avec le gouvernement tchadien au sujet des actifs pétroliers beaucoup plus lucratifs que Savannah a cherché à acquérir auprès d’Exxon et de Petronas. Comme Savannah avait l’intention d’utiliser les paiements de redevances comme garantie de paiement de l’électricité, les centrales solaires qu’elle avait convenu de construire au Tchad ne se matérialiseront probablement pas, selon le papier.
Abdoullah Diop
Source : Agence Ecofin