Actif en Afrique dans plusieurs pays et sur plusieurs minéraux, le groupe Eramet vient de publier ses résultats pour le compte du troisième trimestre 2023. Dans un entretien accordé à Agence Ecofin, Loïse Tamalgo, Délégué Général du groupe Eramet en Afrique, analyse les performances de l’entreprise ainsi que les dynamiques actuelles des marchés sur lesquels le groupe est présent.
Agence Ecofin : Depuis plusieurs mois, le marché minier est perturbé à cause de plusieurs événements, parmi lesquels la guerre russo-ukrainienne. Quelle analyse faites-vous de l’état du marché mondial des mines et des métaux à l’heure actuelle, et plus particulièrement pour les minéraux produits par le groupe Eramet ?
Loïse Tamalgo : En tant que premier producteur mondial de manganèse, nous suivons avec attention les niveaux de production mondiale d’acier au carbone, principal débouché du manganèse. Il a atteint 468 Mt au T3 2023, en hausse de 2 %.
La production en Chine, qui représente plus de 50 % de la production mondiale, est en hausse de 4 % par rapport à un faible niveau à la même période il y a un an. La production en Europe recule de 12 % sur la période. La production en Inde a quant à elle progressé de 17 %, les volumes ayant désormais dépassé ceux de l’Europe.
Pour les sables minéralisés, le contexte macroéconomique est défavorable au secteur de la céramique. Ainsi, la demande mondiale de zircon est de nouveau en légère baisse sur le trimestre.
« En tant que premier producteur mondial de manganèse, nous suivons avec attention les niveaux de production mondiale d’acier au carbone, principal débouché du manganèse. »
Cependant, l’économie de la Chine reprend du rythme peu à peu et devrait dépasser les 5% de croissance en 2023. Cette tendance va naturellement tirer le marché mondial du secteur minier.
Toutefois l’industrie de la construction reste toujours en berne. De façon générale, l’offre des différents produits reste forte dans un contexte de demande plus faible, mais surtout d’un sentiment négatif des marchés envers les matières premières.
Ainsi, sur l’année 2023, les prix ont suivi une tendance baissière, même si les fondamentaux sont restés bons, notamment la tendance des véhicules électriques et de la transition énergétique.
Les marchés devraient se stabiliser rapidement avant de rebondir à moyenne échéance. Le coût de l’énergie reste tout de même un sujet de préoccupation consécutivement à la guerre en Ukraine.
Ainsi, au 3ème trimestre 2023, dans un environnement macro-économique difficile, avec des prix de vente nettement inférieurs à ceux de l’an dernier, nous avons réalisé une très bonne performance opérationnelle, grâce à la hausse de nos volumes produits et à une discipline financière stricte. Nous avons ainsi réussi à rattraper les retards de production générés au premier semestre par des incidents exceptionnels.
Nous restons concentrés sur la performance de nos opérations, l’adaptation de la production aux conditions de marché et le strict contrôle de nos coûts. Dorénavant plus robuste, Eramet, malgré la conjoncture, continue d’avancer dans ses projets de développement. Nous sommes en ordre de marche pour démarrer notre production de carbonate de lithium en Argentine au second trimestre 2024 et nous sommes proches de prendre la décision d’étendre le projet pour doubler notre production à horizon 2027.
Avec ces projets, Eramet confirme son leadership technologique dans la chaine de valeur des métaux nécessaires à la transition énergétique.
AE : Dans ce contexte de fluctuations sur le marché mondial, comment se positionne le groupe Eramet ? Comment ce contexte a-t-il influencé vos plans et votre positionnement depuis le début de l’année ?
LT : Sur ses métaux historiques, notamment le manganèse, le nickel et les sables minéralisés, le groupe maintient sa position sur le marché international et se focalise sur la croissance de la production, l’efficacité du coût du capital et la satisfaction des clients par des produits de haute qualité avec des process éprouvés et en alignement avec les standards ESG les plus stricts du secteur. Le groupe investit pour augmenter les capacités de production au Gabon, au Sénégal et en Indonésie.
« Sur les 4 dernières années, le groupe a investi environ un milliard d’euros pour le développement de la capacité de ses actifs miniers et logistiques au Gabon. »
Sur les 4 dernières années, le groupe a investi environ un milliard d’euros pour le développement de la capacité de ses actifs miniers et logistiques au Gabon. Au Sénégal, le groupe a démarré la construction d’une centrale solaire, et vient d’obtenir l’autorisation pour la phase 2 du projet qui permettra d’investir pour augmenter la capacité de 10%.
Sur les métaux de la transition énergétique, le groupe poursuit la construction de son usine de production de lithium en Argentine qui sera opérationnelle au T2 2024 avec une première production de 24000 tonnes de lithium d’ici mi-2025. Eramet a signé en début juillet un accord de 400 millions de dollars avec le groupe Glencore pour commercialiser conjointement quelque 50 000 tonnes de lithium produites sur son site argentin sur une période de cinq ans.
« Au Sénégal, le groupe a démarré la construction d’une centrale solaire, et vient d’obtenir l’autorisation pour la phase 2 du projet qui permettra d’investir pour augmenter la capacité de 10%. »
En Indonésie, un projet de construction d’une usine HPAL (High Pressure Acid Leach)1 pour la production de sels de nickel destinés au marché des batteries électriques est en cours d’étude avec BASF.
Le groupe a obtenu des subventions de 80 millions d’euros de l’Union Européenne et de la BPI pour la poursuite de son projet de recyclage de batteries électriques, en collaboration avec SUEZ.
Enfin, le groupe accompagne renforce son engagement social, en préparant le lancement de son ambitieuse nouvelle feuille de route RSE 2024-2026 et l’audit externe de l’ensemble de ses sites miniers par les experts de l’Initiative for Responsible Mining Assurance (IRMA).
AE : Vous venez de publier vos nouveaux résultats, quelle analyse faites-vous de la performance de vos opérations africaines ?
LT : Au Gabon, au T3 2023, les volumes de minerai sont de retour à des niveaux record, avec 2,1 Mt de minerai produits et 2,0 Mt de minerai transporté. Ces volumes sont en augmentation d’environ 40 % par rapport à un T2 2023 impacté par des incidents logistiques non récurrents.
Le programme d’expansion de la mine de Moanda au Gabon, déjà la plus grande mine de manganèse au monde, se poursuit, accompagné de progrès opérationnels. Après un premier semestre 2023 perturbé par des incidents logistiques désormais résolus (glissement de terrain fin 2022, rupture d’un ouvrage d’art début avril), la production et le transport de minerai de manganèse sont de retour à la normale.
La suspension des activités le jour du putsch militaire aura au total duré moins de 24 heures et n’a donc pas eu d’incidence sur la performance du trimestre.
Au Sénégal, À GCO, la production de sables minéralisés est en baisse de 5 % à 161 kt sur le trimestre, en raison principalement, comme anticipé, d’une teneur moyenne plus faible et de conditions minières défavorables dans la zone exploitée actuellement.
La production de sables minéralisés de GCO en 2023 devrait s’établir autour de 700 kt HMC, en retrait par rapport à 2022. La mise en service de l’unité d’exploitation à sec a permis de limiter l’impact de la teneur faible et des conditions minières défavorables. L’exploitation va désormais se poursuivre dans une zone où la teneur sera plus forte.
AE : Vous avez publié plus tôt cette année les contributions du Groupe dans les différents pays où il travaille. Qu’en est-il pour ce qui concerne les pays où vous opérez en Afrique ?
LT : La raison d’être « Devenir une référence de la transformation responsable des ressources minérales de la Terre, pour le bien-vivre ensemble » se traduit en actions concrètes notamment à travers les investissements réalisés dans nos pays d’implantation. Au Gabon et au Sénégal, nous avons contribué respectivement de 673 millions d’euros et 106 millions d’euros aux économies nationales en 2022.
« Au Gabon et au Sénégal, nous avons contribué respectivement de 673 millions d’euros et 106 millions d’euros aux économies nationales en 2022. »
Cette contribution renferme les dividendes, les impôts et taxes, l’investissement communautaire, les salaires payés en local et le contenu local. Ces contributions sont à la taille de nos opérations et vont croitre à mesure que nous augmentons nos capacités de production.
AE : Quelles innovations majeures avez-vous réalisé dans les juridictions minières africaines où vous êtes présent ?
LT : Afin de réaliser son ambition de minier responsable, Eramet et sa filiale Comilog ont mis en place à Moanda, un Centre de gestion intégrée des opérations, IROC (Integrated Remote Operations Center), baptisé « MOULEBE », résultat d’une expertise innovante transférée du groupe vers la filiale. Ce centre a permis la reconversion d’une soixantaine de salariés à de nouveaux métiers d’avenir. L’IROC permet d’offrir un environnement intégré, dans lequel des ressources pluridisciplinaires travaillent en collaboration, avec des indicateurs de contrôle pour des opérations structurées en temps réel sur l’ensemble de la chaîne de valeur du système de production.
Au Gabon toujours, le groupe a également mis en place un port flottant, permettant le transbordement en pleine mer sur des navires de 200 000 tonnes, en plus des bateaux de 45 000 tonnes qui accostent au port. Ce changement d’échelle dans la logistique maritime permet de faire face à une augmentation de l’amplitude logistique du pays en matière de transport maritime, grâce au développement d’infrastructures à quai et sur mer.Haut du formulaire
A GCO au Sénégal, le groupe affirme son expertise dans la gestion responsable de ses impacts auprès des communautés locales, avec l’achèvement d’un projet RSE d’une ampleur inégalée : la création de la première oasis du Sénégal.
Eramet investit également dans de nouvelles méthodes complémentaires de valorisation de la ressource en sables minéralisés. Une unité mobile très performante permet de ratisser les sables se trouvant de part et d’autre du chemin de notre drague, ce qui permet de ne pas gaspiller la ressource et d’optimiser la production.
AE : Dans plusieurs pays miniers aujourd’hui, – la question de l’impact des mines sur la vie des populations et l’environnement est discutée. Eramet a choisi l’Initiative for Responsible Mining Assurance (IRMA) pour évaluer la performance RSE de ses sites opérationnels. Comment le groupe s’active-t-il pour obtenir la certification « Mine responsable » ?
LT : Ce standard international, objectif et indépendant, permet de certifier comme « responsables » les activités auditées, selon les critères les plus exigeants. Après une auto-évaluation réalisée fin 2022, Eramet a engagé l’évaluation indépendante de son site d’Eramet Grande Côte Opérations (GCO) au Sénégal. Le lancement de cet audit externe par un tiers permettra à Eramet de compter parmi les premiers groupes miniers à démontrer leur engagement public dans le processus IRMA.
Après ce premier audit externe au Sénégal, Eramet a pour ambition d’engager l’ensemble de ses sites miniers dans ce processus de vérification indépendant d’ici 2027.
AE : Quelles sont les perspectives du groupe Eramet en Afrique, alors que l’année 2023 se termine et que débute bientôt une nouvelle année ?
LT : Conscient que la durabilité de l’exploitation minière dépend de l’exploration, le groupe Eramet prévoit d’intensifier l’exploration sur nos permis d’exploitation actuels ainsi que sur les nouveaux permis octroyés par les administrations des États. L’objectif est d’augmenter les ressources minières de nos métaux en exploitation dans ces pays et de les convertir en réserves dans nos pays d’exploitation.
Cela permettra d’augmenter la connaissance des gisements et de prolonger significativement la vie de la mine dans ces pays. Nous resterons ouverts également pour identifier des potentiels dans les pays où il existe des métaux critiques pour la transformation énergétique.
Afin de rentabiliser les lourds investissements effectués, le groupe va déployer le standard Eramet Production System pour augmenter l’efficience et la productivité des actifs. Un pilote est déjà en cours au Gabon chez Comilog.
Le groupe va poursuivre ses investissements dans les projets en cours, notamment la nouvelle mine de manganèse à Comilog, le Plan de Remise à Niveau (PRN) et le Plan d’Augmentation de la Capacité (PAC) de la voie ferrée de la Setrag au Gabon, la phase 2 de l’extension de la mine, et la centrale d’énergie solaire chez Grande Côte Opérations au Sénégal.
Au Cameroun, quatre années d’études de faisabilité technique et environnementale ont révélé que la rentabilité économique du projet d’exploitation du site d’Akonolinga pour la production de rutile n’a pas pu être mise en évidence du fait des investissements très coûteux nécessaires pour la mise en place d’un projet industriel responsable. L’exploitation du gisement créerait en effet un risque trop élevé pour les écosystèmes et le cadre de vie des populations locales.
« Au Cameroun, quatre années d’études de faisabilité technique et environnementale ont révélé que la rentabilité économique du projet d’exploitation du site d’Akonolinga pour la production de rutile n’a pas pu être mise en évidence. »
Par conséquent, le groupe a décidé de ne pas poursuivre ce projet. Nous allons procéder à une démobilisation progressive, conformément à un calendrier convenu avec les autorités camerounaises, en prenant en considération tous les aspects légaux et sociaux convenus.
AE : Que pensez-vous du secteur minier africain dans son ensemble ? Est-il suffisamment préparé à faire face aux nouveaux enjeux du marché mondial des métaux ?
LT : Le continent africain peut prendre sa place dans la nouvelle carte géopolitique des métaux qui se dessine, moyennant des préalables comme la stabilité politique, juridique et règlementaire des pays et une amélioration des codes et pratiques miniers.
C’est à l’Afrique elle-même de définir le rôle qu’elle veut occuper dans la chaîne de valeur de l’industrie minière et de se donner les moyens d’attirer les investissements qui lui permettront d’occuper cette place.
(1)La lixiviation acide à haute pression (HPAL) est un procédé utilisé pour extraire le nickel et le cobalt des gisements de minerai de latérite. Ce procédé utilise de l’acide sulfurique pour séparer le nickel et le cobalt du minerai de latérite.
Source : Agence Ecofin