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Chercheur pour l’International Peace Information Service (IPIS), une ONG de recherche basée à Anvers, Hans Merket fait des recherches sur l’impact de l’exploitation des ressources naturelles sur la sécurité, le développement et les droits humains. Après des recherches sur l’or en RDC et en Tanzanie, il s’est spécialisé depuis quatre ans sur le diamant en Afrique, avec un focus sur les défis liés aux droits humains dans le secteur. Dans un entretien accordé à Agence Ecofin, il donne son point de vue sur le secteur des diamants de la RDC, 4e producteur mondial de la pierre précieuse.

Agence Ecofin : La RDC, 4e producteur mondial de diamant selon le Processus de Kimberley, est un pays que vous connaissez bien. Quelle perception un acteur de la société civile comme vous a de l’évolution de son secteur du diamant sur les dernières années ?

Hans Merket : D’abord, pour donner un peu de contexte, c’est vrai que la RDC est un pays sur lequel on a beaucoup d’expertise. Mais je dois ajouter que nous ne travaillons pas souvent sur les diamants en RDC. Et en fait, il n’y a pas beaucoup d’ONG qui le font. Et c’est quelque chose d’important à prendre en compte, parce que je trouve qu’il y a un grand manque de suivi et d’information sur ce secteur en RDC. Et je pense que c’est lié à deux points.

D’un côté, il y a les bailleurs de fonds qui se sont beaucoup intéressés aux minerais du conflit à l’est de la RDC, et donc, il y a moins de financement qui est disponible pour une province comme le Kasaï où se trouve le diamant. Et de l’autre côté, on a souvent eu la perception que le processus de Kimberley couvre les diamants et donc que c’est quelque chose que le processus de Kimberley va régler. Mais le processus de Kimberley n’a pas de budget pour faire du suivi, pour soutenir les recherches.

C’est donc quelque chose qu’on doit prioriser, pour avoir beaucoup plus d’informations actuelles sur ce secteur en RDC. C’est quelque chose qu’on a commencé à faire à l’IPIS. L’année passée, on a travaillé avec deux partenaires congolais, le CENADEP ((Centre National d’Appui au Développement et à la Participation Populaire, NDLR) et GAERN (Groupe d’Appui aux Exploitants des Ressources Naturelles, NDLR). On a piloté un système de cartographie de diamants. C’est quelque chose qui nous a donné un peu plus de données actualisées. C’était seulement un programme pilote, mais qu’on devrait élargir et répéter pour avoir plus d’informations.

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Hans Merket : « On doit tous contribuer activement à trouver des solutions. »

Mais pour répondre à votre question, ce n’est pas qu’on ne connaît rien de ce secteur. Tout d’abord, ce qui est très remarquable et que vous avez mentionné dans votre question, la RDC est en effet un des plus grands producteurs de diamants au monde. Mais presque toute cette production est faite de façon très rudimentaire dans des conditions très difficiles. On a vu ces dernières années une évolution positive avec un certain nombre de coopératives qui ont commencé à s’organiser de manière professionnelle, afin de partager les coûts et les risques d’investir dans ce secteur et qui sont en train de développer des équipements miniers qui sont plus durables et mieux gérés. Et c’est une évolution qu’on doit soutenir parce que c’est de cette façon qu’on peut professionnaliser ce secteur.

De l’autre côté, il y a deux entreprises minières à grande échelle, mais tous les deux font face à des difficultés. Le premier, c’est la SAKIM. C’est une co-entreprise entre le gouvernement de la RDC et une entreprise chinoise qui s’appelle AFECC, et qui a récemment, il y a quelques semaines, suspendu ses activités, mettant 1000 personnes au chômage. Ces dernières années, plusieurs rapports sur cette entreprise avaient déjà signalé des violations des droits de travailleurs. Il y avait des rapports sur des directeurs chinois qui battaient le personnel congolais, des pratiques discriminatoires pour le staff congolais, etc.

« Il y avait des rapports sur des directeurs chinois qui battaient le personnel congolais, des pratiques discriminatoires pour le staff congolais, etc. »

Il y a eu beaucoup de difficultés dans la période de la pandémie de Covid-19. Beaucoup d’employés n’ont pas eu leur salaire. Ils ont été confinés sur place pendant des mois. Ils ont travaillé dans des puits profonds sans équipements appropriés de protection. La deuxième entreprise, c’est la Société d’État MIBA qui est lourdement endettée depuis des années et qui peine à développer ses activités. Il y a beaucoup d’efforts pour essayer de revigorer cette entreprise, mais ça n’a pas vraiment réussi jusqu’à maintenant. A la fin de 2021, la MIBA a signé un protocole d’accord avec l’entreprise publique russe Alrosa censé impulser une nouvelle dynamique au développement de l’industrie minière de la RDC. Quelques mois plus tard, on a vu le conflit entre la Russie et l’Ukraine et Alrosa est devenu une cible des sanctions occidentales. Et donc, c’est probablement ce qui explique pourquoi on n’a plus entendu parler de cet engagement.

AE : Malgré son statut de 4e producteur mondial de diamants, plusieurs analystes pensent que le potentiel de croissance du secteur en RDC est encore grand. Qu’est-ce qui peut être encore fait pour concrétiser ce potentiel ?

HM : Je pense que l’image de la RDC amène beaucoup d’entreprises à hésiter pour investir dans le pays. Et donc ça, c’est quelque chose qu’on ne peut pas changer rapidement, c’est quelque chose qui prend du temps. Et on a vu les dernières années beaucoup d’efforts, par exemple, pour atténuer les risques dans le secteur minier, pour sensibiliser les personnes qui vivent dans ce secteur à opérer d’une façon plus responsable. Et je pense que ce sont toutes des initiatives qui ont eu des effets positifs. Le souci est évidemment que les causes profondes des problèmes subsistent, parce que le secteur minier n’est pas une île. Il fait partie intégrante de la société où, par exemple, la pauvreté reste endémique. Et donc on peut essayer de convaincre, par exemple, de ne pas avoir de travail d’enfants dans le secteur, mais si les gens restent pauvres, ils vont continuer à chercher des solutions pour avoir assez à manger.

« On peut essayer de convaincre, par exemple, de ne pas avoir de travail d’enfants dans le secteur, mais si les gens restent pauvres, ils vont continuer à chercher des solutions pour avoir assez à manger. »

Et donc s’ils ont besoin de leurs enfants pour les aider, ils vont continuer à le faire, peu importe combien de sensibilisations on fait. Ça ne veut pas dire que cette sensibilisation n’est pas importante, c’est juste qu’on doit avoir des moyens d’accompagnement et des attentes réalistes. On ne doit pas penser que ces problèmes vont être résolus très rapidement. On doit accepter que ça va prendre du temps.

« Et c’est aussi une responsabilité des médias, de la société civile, pour essayer d’aider les entreprises à investir, et de ne pas seulement se concentrer sur des campagnes qui sont très sensationnelles. »

Et je pense que ça, c’est une responsabilité pour les entreprises d’essayer de s’engager avec ces problèmes, de ne pas dire que c’est un pays avec trop de risques et qu’il vaut mieux investir ailleurs. Et c’est aussi une responsabilité des médias, de la société civile, pour essayer d’aider les entreprises à investir, et de ne pas seulement se concentrer sur des campagnes qui sont très sensationnelles, à propos des risques qui existent dans ce secteur, mais essayer de donner plus de contexte, d’expliquer la raison pour laquelle ces défis sont si persistants, et essayer aussi de trouver des façons d’analyser le contexte, de formuler des recommandations pour les entreprises, comment elles peuvent trouver une façon d’investir de façon responsable.

AE : Selon la présidence congolaise, la visite récente de Félix Tshisekedi au Botswana doit permettre d’en apprendre sur le modèle du pays afin de le dupliquer en RDC. Voyez-vous la gouvernance du secteur du diamant comme un exemple à suivre pour la RDC ?

HM : Oui et non, je dirais. D’une part, je pense que le Botswana est en effet un pays modèle pour ce qui est d’attirer les investissements dans son secteur d’extraction de diamants et de veiller à ce que les bénéfices servent au développement du pays. Le Botswana est devenu une économie avec un revenu moyen supérieur dans une large mesure grâce au secteur de l’extraction de diamants. Mais de l’autre côté, le Botswana est un pays très différent de la RDC. Par exemple, le Botswana compte 2,5 millions d’habitants, la RDC plus de 100 millions. Donc, on ne peut pas compter sur deux entreprises minières (De Beers et Lucara Diamond, NDLR) pour conduire un développement inclusif du pays. Et c’est la raison pour laquelle je pense qu’en RDC on doit aussi compter sur le potentiel du secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle. Parce que c’est ce secteur qui emploie une multitude de personnes et le secteur qui a le plus grand potentiel en termes de développement avec des bénéfices qui restent dans les communautés qui sont affectées ou qui disposent de ces ressources de diamants.

AE : D’une manière plus générale, la RDC a consenti ces dernières années beaucoup d’efforts pour assainir le regard porté sur le secteur minier contre lequel des accusations de violation de droit de l’homme et des enfants dans les mines persistent. Vous qui avez travaillé sur cette question, pensez-vous que le pays est sur la bonne voie actuellement ?

HM : On a vu des initiatives prometteuses, et avec une coopération entre les services de l’État et des ONG, je pense au service de l’État qui s’appelle SAEMAPE (service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière artisanale et des mines à petite échelle, NDLR) qui travaille dans le secteur artisanal donne un soutien très important à ce secteur, mais les ressources sont assez limitées pour un secteur qui est si énorme avec des milliers de mines.

On est donc sur la bonne voie oui, mais je dirais que le chemin est encore très long. Je pense qu’il sera important de trouver de meilleures façons de soutenir ce secteur, pour qu’il devienne plus professionnel, plus responsable. Alors que maintenant le focus est encore trop sur réglementer ce secteur, sur trouver des façons de taxer ce secteur par exemple. Je pense que tous les efforts mis dans la taxation de ce secteur ne sont pas la bonne priorité. Le potentiel de ce secteur se trouve dans les milliers de personnes qu’il emploie, les milliers de familles qui en dépendent.

« La première préoccupation doit être de trouver des façons pour assister ce secteur à devenir plus sécurisé, plus professionnel, pour trouver comment on peut aussi utiliser la valeur qui est créée pour développer les communautés locales. »

Je ne dis pas qu’on ne doit pas taxer ce secteur, mais ça ne doit pas être la première préoccupation. La première préoccupation doit être de trouver des façons pour assister ce secteur à devenir plus sécurisé, plus professionnel, pour trouver comment on peut aussi utiliser la valeur qui est créée pour développer les communautés locales. Parce que c’est un secteur qui est axé sur la pauvreté, ce sont des gens pauvres qui entrent dans ce secteur, mais qui ne réussissent pas à échapper à la pauvreté. On doit trouver des façons pour exploiter d’une façon plus durable, durable dans le sens environnemental, mais aussi dans le sens de créer une activité durable qui aide les gens à créer de la valeur qu’ils peuvent utiliser pour améliorer leur vie à eux-mêmes.

AE : Quels conseils donneriez-vous pour en finir définitivement avec ce problème y compris pour toutes les matières premières produites dans le pays ou dans la région (or, diamant, coltan, cassitérite, etc.) ? Que doivent faire chacune des parties prenantes pour que ce soit un succès (État, société civile, communauté internationale, compagnies minières).

Cette recommandation de passer d’une réglementation descendante à un soutien ascendant pour ce secteur artisanal peut s’appliquer à tous les minerais dans beaucoup de pays différents. Et je pense qu’il y a des pays où cette évolution a déjà commencé. Par exemple, j’ai aussi fait beaucoup de recherches en Tanzanie. On voit en Tanzanie que ce changement de perspective, de réglementer pour soutenir est déjà en cours. On est en train de faire beaucoup d’efforts pour mieux comprendre le contexte de ce secteur, quels sont leurs défis, leurs exigences, de quoi ont-ils besoin pour se professionnaliser et trouver des façons de les aider. Et par exemple, pour améliorer l’accès qu’ils ont au financement. C’est quelque chose qui est très difficile pour un secteur informel. Il n’y a aucune banque qui veut investir dans ce secteur à cause des risques. Mais en fait, si on explique à une banque quel est le contexte spécifique, et quel est le potentiel de ce secteur, on trouve des banques qui veulent s’engager. Donc je pense effectivement que c’est un changement de perspective qui peut s’appliquer partout.

Si on parle des responsabilités de toutes les parties prenantes, moi je dirais qu’on doit tous, et je parle des entreprises, société civile, journalistes, gouvernement, changer de perspective, ne plus seulement identifier des problèmes, mais aussi contribuer activement à trouver des solutions. Par exemple, pour moi qui suis de la société civile, c’est très facile de juste dire voilà ici un problème et dire qui est responsable du problème. C’est beaucoup plus difficile d’essayer de trouver des solutions.

« C’est très facile de juste dire voilà ici un problème et dire qui est responsable du problème. C’est beaucoup plus difficile d’essayer de trouver des solutions.»

C’est aussi plus risqué parce qu’on doit oser prendre des risques pour résoudre les problèmes et on doit aussi soutenir les acteurs qui prennent ces risques et pas discréditer directement quand quelque chose ne marche pas, mais vraiment essayer de commencer un mouvement d’amélioration progressive avec des investissements qui vont parfois être compliqués, qui ne vont parfois pas réussir complètement, mais après regarder ce qui a été réussi, ce qui ne marche pas, ce qui marche, et comme ça avancer. Donc on a plus besoin d’un esprit coopératif entre les ONG, l’État, les entreprises que d’un esprit de critique des uns envers les autres.

Interview réalisée par Emiliano Tossou et Louis-Nino Kansoun

Source : Agence Ecofin

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