En juin 2022, l’Ouganda a défrayé la chronique en déclarant héberger dans son sous-sol des gisements de minerai d’or d’environ 31 millions de tonnes. D’après les autorités, une fois ces ressources exploitées et traitées, elles peuvent permettre de produire 320 000 tonnes d’or raffiné. A titre de comparaison, la production mondiale d’or se chiffre actuellement à environ 3000 tonnes par an. Si peu d’éléments existent à ce stade pour attester de la fiabilité de ces estimations ougandaises, l’Etat ougandais espère attirer l’attention des investisseurs avec cette sortie et faire passer un cap à son secteur minier dominé par l’exploitation artisanale. Pour tirer profit de ses vastes richesses minières qui englobent également des minéraux stratégiques, Kampala a identifié l’industrialisation du secteur comme une étape cruciale et s’active pour y parvenir.
Selon les données de la chambre des mines ougandaises, le secteur minier du pays (que ce soit l’or ou les autres minéraux) est encore largement dominé par l’exploitation artisanale et à petite échelle (ASM). 90% des minéraux produits en Ouganda proviendraient des ASM, ce qui donne une idée du cap que le pays doit encore franchir en matière d’industrialisation pour produire à plus grande échelle. Concernant l’or par exemple, si l’Ouganda exporte de gros volumes grâce aux raffineries installées sur son sol (les exportations d’or du pays sont passées de 20 millions $ en décembre 2017 à 165 millions $ en juin 2021), on sait que ces raffineries font l’objet de controverses sur leurs sources d’approvisionnement en minerai.
La mine de Kilembe était exploitée jusque dans les années 70.
Dans sa volonté d’inverser la tendance en développant une industrie minière solide, l’Ouganda met d’abord en avant le potentiel de son sous-sol. En dehors des ressources aurifères, le pays héberge du cuivre et du cobalt dans le district de Kasese, où une mine (Kilembe) a d’ailleurs été exploitée jusque dans les années 70. En outre, son sous-sol contiendrait plus de 250 millions de tonnes de fer dans plusieurs districts, ainsi que des roches de pegmatite, minerai abritant le lithium, ou encore du coltan, de l’étain, du graphite et même des terres rares. Cependant, le potentiel minéral ne suffit pas à lui seul à attirer les investisseurs. La Chambre des Mines déclare justement à ce propos que le pays a besoin de créer « un environnement attractif pour les investissements et de travailler à la protection de ces mêmes investissements ».
Les efforts de l’Ouganda pour industrialiser le secteur aurifère
Lorsque l’Ouganda a annoncé il y a quelques mois héberger des gisements d’or d’environ 31 millions de tonnes, la nouvelle a fait réagir analystes, experts et autres acteurs du secteur mondial du métal précieux. Plusieurs d’entre eux ont émis des réserves concernant la validité des estimations effectuées grâce à des levés aériens. Chacun comprend que si le pays fournissait des preuves de l’existence de ces gisements, le marché de l’or en serait profondément secoué. D’autres se sont posé des questions sur la viabilité des ressources et de leur exploitation, certains trouvant les prévisions du gouvernement ougandais « insensé et extrêmement optimiste ».
Loin de ce scepticisme, l’Etat ougandais semble ne pas vouloir perdre du temps. On apprend ainsi de la presse locale et internationale, que le pays a commencé par attribuer des licences à des compagnies étrangères sur les gisements aurifères. Une licence d’exploitation a été accordée à la société chinoise Wagagai Gold Mining Company pour le développement d’une mine (Busia) et d’une raffinerie, les détails concernant le montant de l’investissement et le coût du projet étant restés un peu flous.
Dans le même temps, une agence gouvernementale dénommée Uganda Free Zone Authority (UFZA) a été mise sur pied avec comme objectif de créer des opportunités pour les investissements orientés vers l’exportation. Par son biais, l’Etat essaie d’attirer les investisseurs étrangers dans le secteur minier en leur offrant des incitations fiscales. Selon Mining Technology, Wagagai Gold Mining bénéficie d’un certain nombre d’exonérations fiscales à l’importation et l’exportation dans le cadre de son projet.
Si les incitations fiscales peuvent encourager l’investissement, l’Etat compte de son côté sur son nouveau code minier, adopté en février 2022 par le Parlement puis promulgué en octobre dernier par le président Yoweri Museveni, pour tirer profit de l’exploitation des ressources. La charte minière abolit le principe du « premier arrivé, premier servi » au profit d’un appel d’offres concurrentiel. Le processus de demande de permis se fera désormais en ligne et l’Etat veut non seulement apporter davantage de transparence dans le secteur, mais aussi s’assurer le meilleur partenariat possible avec les investisseurs.
La charte minière abolit le principe du « premier arrivé, premier servi » au profit d’un appel d’offres concurrentiel. Le processus de demande de permis se fera désormais en ligne.
Le nouveau code minier prévoit aussi la création d’une compagnie minière nationale dénommée Uganda National Mining Company. Cette dernière permettra à l’Ouganda de prendre une participation gratuite allant jusqu’à 15 % dans tous les projets miniers du pays.
« La nouvelle loi vise à fournir un régime juridique solide, prévisible et transparent, à améliorer la gouvernance minière et les processus commerciaux, à assurer une collecte et une gestion efficaces des revenus miniers, à promouvoir la valeur ajoutée des minéraux et à accroître le commerce des minéraux », commente-t-on du côté de Kampala.
Par ailleurs, la question de l’exploitation minière illégale et informelle est également prise en compte par la charte minière. Pour décourager le phénomène, il est prévu des amendes ainsi que des condamnations à des peines de prison à l’encontre des coupables.
Des compagnies minières intéressées par les minéraux stratégiques
Au-delà de l’or, l’industrie minière que s’attèle à développer l’Etat ougandais concernant également d’autres minéraux stratégiques comme les terres rares ou le graphite. Dans le secteur du graphite, le plus grand projet de l’Ouganda, celui d’Orom-Cross, est développé par la compagnie minière Blencowe Resources. Cette dernière a publié au deuxième semestre 2022 les résultats d’une étude de préfaisabilité qui propose un plan de développement en plusieurs phases afin d’atteindre l’entrée en production complète pour 2025. Après la mise en service d’une usine pilote d’une capacité annuelle de 1500 tonnes au cours de la deuxième moitié de l’année 2023, la compagnie compte injecter 62 millions de dollars dans la construction d’une usine d’une capacité de 800 000 tonnes par an. Cette dernière et l’ensemble des infrastructures connexes, à savoir les routes, canaux de communication, électricité et camp minier, seront achevés d’ici 2024-2025. Une fois le projet en service, la compagnie prévoit d’installer deux nouvelles usines pour augmenter les volumes produits.
Le projet de terres rares à Makuutu.
En dehors du graphite dont le marché fait face à de nouveaux enjeux avec le boom des véhicules électriques, l’Ouganda a également conclu un partenariat pour développer une mine de terres rares à Makuutu. C’est Ionic Rare Earth qui pilote le projet qui aurait la capacité de livrer 40 090 tonnes d’oxyde de terres rares durant la première phase de son développement. Pour développer cette phase, il lui faut un capital de 120,8 millions de dollars, récupérable au bout de trois ans. Ionic s’attend des revenus nets de 3,98 milliards $ et à un bénéfice avant impôts de 1,60 milliard $ au bout de cette phase. L’entrée en production du projet est prévue pour fin 2024.
Des défis importants à relever
Les efforts de l’Ouganda pour industrialiser son secteur minier sont louables. Si les quelques compagnies susmentionnées vont au bout de leurs différents projets, cela pourrait avoir un effet entrainant et attirer d’autres investisseurs dans le pays. C’est justement le pari que fait l’Etat qui cherche à augmenter la contribution du secteur minier au PIB (actuellement à moins de 3%). Toutefois, il faudra pour le pays aller au bout de ses réformes afin d’assainir ce secteur longtemps pointé du doigt par des ONG internationales pour des problèmes de corruption.
En mars 2022, le département américain du Trésor a imposé des sanctions à l’encontre de l’homme d’affaires Alain Goetz et African Gold Refinery, la raffinerie à l’origine du boom des exportations ougandaises d’or. L’entreprise et son promoteur seraient en effet impliqués dans un trafic illicite d’or en provenance de la RDC voisine. Hormis la problématique de lutte contre la corruption et du risque que peut représenter pour les investisseurs l’environnement politique dans le pays, on peut citer, entre autres défis, la gestion de l’impact de l’industrie minière naissante sur l’environnement et sur la vie des populations locales.
Louis-Nino Kansoun
Source : Agence Ecofin